Joë Bousquet ( 1897-1950 )

Joë Bousquet perçut l'écho de tous les mouvements poétiques de l'entre-deux-guerres et fut l'ami de poètes, de peintres surréalistes. Mais, s'il reconnut avec le surréalisme l'importance du rêve - où tout lui redevenait possible - , s'il eut le goût d'élucider ses propres ombres, de descendre dans sa mémoire et son inconscient à la chasse des souvenirs enfouis et de ses fantômes, s'il sut enfin exalter l'amour, la poésie pour lui, plus que pour n'importe quel autre poète, fut une entreprise vitale. Fauché par une balle allemande en 1917, à 20 ans, privé de l'usage de ses 2 jambes, Bousquet dans sa chambre de Carcassonne, où le visitaient de nombreux amis, fit de la poésie et de l'écriture le lieu de réconciliation de l'esprit et du corps, le moyen tout en semble de se récupérer soi-même et d'investir le monde. " Il ne s'agit pas pour moi d'écrire, dit-il dans Traduit du silence, mais de rendre à ma vie sa hauteur inévaluable; et pour celà, de la faire indifférente à ce qui se produisit en elle sous le jour de l'accident".

NUIT..

Caresse tes mains, caresse-les, mais prends garde de ne pas les briser.
Caresse tes yeux comme un chat.
Encore un peu de coeur dans le coeur sans pensées, le silence n'est pas le matin.
Une main se déplace au fond du ciel sans voix, un ciel n'est pas si près qu'on croit du ciel.
Caresse de toutes tes forces ton front, caresse ton cou, ta poitrine, prends ta tête à deux mains comme un fruit, tiens ta bouche et tes yeux dans tes doigts qui se serrent.
Comme si tu savais que rien ne peut se déchirer.
Caresse étroitement ta dernière caresse, étends, étends ton corps, écoute:
Les portes des maisons
Pense à ce qui se tait ( Traduit du silence )

Et quand je suis seul et que j'écoute le chant qu'il y a toujours en moi prêt à éclairer des mots inattendus, à éveiller un scintillement dans la phrase à écrire, quand je me fais l'écho de la voix que je tire saignante de l'ombre, bien à moi avec ses airs de chanson populaire, de valse tzigane, d'amour transi, un instant pris à la gorge devant cette révélation que je me fais à moi-même, je me détourne de mon amour et de ses images, j'oublie dans le charme des mots qui se sont d'eux-mêmes assemblés la femme que j'aime et c'est pour me dire : " Il n'est pas possible que ce ne soit elle, ce mot né de moi, ni un aspect, et le plus secret, de son émotion, le don que j'ai d'émouvoir. " La faveur d'émouvoir ne donne pas droit au bonheur.
Et je suis là, seul avec mon amour comme un jouet d'un autre monde dont je ne saurais pas faire usage et, qu'à de certains moments, je voudrais briser.
Parce qu'elle était là, parce qu'elle était belle, elle a pris la place de la vie , elle a mis mes songes au feu. Elle m'a révélé que ce n'était rien d'aimer les fleurs et les pierres et qu'il n'y avait pas de couleurs au ciel, qu'il n'y avait dans l'amour que je portais à ces choses qu'une forme primitive du voeu formé de lui appartenir.
( Traduit du silence )