Un souffle de poésie
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Un souffle de poésie

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 Roger Bodart

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MessageSujet: Roger Bodart   Roger Bodart Icon_minitimeSam 21 Juin - 19:42

L'herbe de Nagasaki

A Princeton, dans un antre célèbre,
j'ai rencontré le prince des ténèbres.

Il rêvait d'un champigon vénéneux
qui mangeait le Grand Oeuvre de Dieu.

Le prince avait un visage d'ascète
et l'oeil serein du guetteur de planètes.

Sur le tableau noir une équation
dans le néant enfonçait un sillon.

Par la croisée, on devinait la plaine
sans un seul arbre, sans présence humaine.

Je respirais pendant qu'il me parlait
la bonne odeur de son tabac anglais.

Il faisait nu dans ce laboratoire.
C'était l'impasse où se cognait l'histoire.

On y sentait la vie au cran d'arrêt.
L'homme portait la mort sous son béret.

Non la mort à la petite semaine:
la fin, d'un coup, de l'existance humaine.

L'homme pourtant ne voulait pas cela.
Il avait lu la Bhagavad-Gîta.

Il écrivait des ballades françaises.
Vif, il nageait dans l'eau de l'hypothèse.

Il avait des enfants. Il était bon.
Il aimait bien jouer du violon.

Pendant ce temps, près de là, son vieux maître
voyait la mort entr'ouvrir sa fenêtre.

Ce matin-là, l'herbe avait resurgi
dans la poussière où fut Nagasaki.

(in Le Nègre de Chicaga, 1958)



quelques liens:

bio:
http://www.arllfb.be/composition/membres/bodart.html

lettres frçses de Belgique:
http://books.google.fr/books?id=M2g7p6BkdP4C&pg=PA307&lpg=PA307&dq=roger+bodart&source=web&ots=ObITy53Jt7&sig=c9iaxHSqxvetLBFmevsuwm74cns&hl=fr&sa=X&oi=book_result&resnum=6&ct=result
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MessageSujet: Re: Roger Bodart   Roger Bodart Icon_minitimeSam 21 Juin - 19:48

LE NEGRE DE CHICAGO

Je crie à tous. Et pourtant qu'ai-je dit ?
Plus que mes jours d'enfant, je vois mes nuits :

Des papillons nés d'un fleuve funèbre
éclaboussant de neige les ténèbres.

Je suis resté l'enfant de ces nuits-là.
Je passe l'eau d'un fleuve sans éclat,

d'un sort nocturne où, l'été, s'allumèrent
vos blancs tapis, millions d'éphémères.

Qui comprendra ce que j'avoue ici ?
Accusez-donc un langage imprécis.

Accusez-moi de perte de mémoire,
de ne savoir déchiffrer mon grimoire.

Accusez-moi d'être le chaud, le froid.
Quand vous parlez, me parlez-vous de moi ?

Je voudrais bien vous parler de moi-même,
car c'est parler de quelqu'un qui vous aime,

d'un inconnu qui est peut-être vous.
Mais ce moi-même, amis où est-il ? Où ?

Savez-vous bien mes frères qui vous êtes ?
J'ai fait le tour de ma mince planète,

bu l'eau de palme aux rives du Congo,
sur l'Orénoque assemblé mon fagot.

A Chicago j'ai marché des journées.
J'y regardais comme des cheminées

monter, monter des maisons aspirant
un flot humain dont se perd le torrent.

Parfois parmi tous ces visages pâles,
un homme noir brillait comme une étoile,

un homme noir avec de grands yeux blancs.
Il traversait la foule d'un pas lent.

D'où venais-tu, Balthazar, oncle Tom ?
Il me semblait que je découvrais l'homme

dans un désert où l'homme était perdu.
Tu m'apportais ton visage tout nu.

Dans ton regard ne se cachait nul piège ;
c'était un peu de charbon dans la neige.

Tu t'avouais, blanc et noir simplement.
Quand tu mentais ton œil disait : je mens.

Noir de New York et de Philadelphie,
charbon, pardonne au gel qui se méfie.

Que ferais-tu, tison, de ce glaçon ?
Nous nous tuons quand nous nous enlaçons.

Sombre améthyste au cœur du diadème,
qui m'as appris qu'on tue ce que l'on aime,

mes blanches dents, maître en l'art de manger,
Je te salue, mon vieux frère étranger.

* **

Je le sais bien, comme tu rends malade
la dame blanche avalant sa salade.

Ton rire énorme, ami, je le sais bien,
qu'il peut gêner le végétarien.

Je le sais bien que tu vis loin des codes,
qu'autour du jour tu es la nuit qui rôde,

et que tu es feu de brousse, la nuit,
qu'où nous voyons un plus un, elle et lui,

il n'y a plus pour toi ni lui ni elle,
mais l'oiseau-couple emporté par deux ailes ;

je le sais bien que tu ne comprends pas
l'homme qui porte en sa bouche un compas.

Je le sais bien, et tu le sais bien comme
c'est une chose étrange qu'être un homme

à la peau blanche et qui ne comprend plus
que ce qu'il a compté, pesé, voulu.


Je le sais bien que ce qui crie ou vibre,
ce qui s'efforce encore d'être libre,

ce que la loi, le calcul, la raison
n'enferment pas encor dans leur prison,

tu es le seul, toi qui ris, toi qui marches,
à l'accueillir, ami, sous ta grande Arche.

Tu es le seul à enlacer le vent
que n'a jamais pu saisir le savant.

Tu es le seul quand la tornade tombe
à recueillir sa force sous tes lombes.

Tu es le seul quand ton vieux père meurt
à l'aimer jusqu'à dévorer son cœur.

Tu es le seul, la nuit, quand tu as bu
à te noyer dans l'océan-tribu.

Tu es le seul à comprendre le prêtre.
Ton cœur tam-tam convoque les ancêtres.

Ta bouche sait dire les mots qu'il faut.
Ton œil d'un coup chasse les esprits faux.

Toi le gardien des choses coutumières,
Tu es le Noir qui porte la lumière.

***
Et moi, le Blanc, je suis le fossoyeur.
Je suis venu t'enseigner le bonheur,

le blanc bonheur des demeures tombales.
Je suis venu éteindre tes cymbales.

Je suis venu habiller le sein nu.
J'ai fait brûler tes masques saugrenus.

Je t'ai donné de plus puissantes armes.
J'ai mis un sel plus salé dans tes larmes.

J'ai fait s'enfuir dans la forêt tes dieux.
Tu étais neuf. Je t'ai rendu très vieux.

J'ai étouffé le feu dans ton village,
et j'ai souri de tes proverbes sages.

Je t'ai donné le goût du désespoir ;
mis dans ton sang la honte d'être noir.

***

Et cependant, fils de l'hippopotame,
tu ris ! Tu broies les lois que nous dictâmes.

Tu es celui qui n'a rien découvert,
mais c'est en toi que règne l'univers.

Serait-il vrai, enfant du crocodile,
que ton esprit dans ton corps est une île

parmi la mer et que l'île parfois
jaillit des flots, vogue au-delà des bois,

devient étoile, ou rire entre les branches,
guépard guettant appuyé sur les hanches ?

Je suis aussi l'enfant de la forêt,
mais ma forêt a tu le grand secret.

Je ne sais plus être pierre, onde, flamme,
trouver le seuil par où s'échappe l'âme.

Toi, tu es libre, oiseau de paradis.
Je suis le Blanc raisonnable et maudit.

Je suis l'enfant vorace, colérique,
frappant du poing contre ton mur, Afrique.

D'autres ont faim, Afrique, de ton or.
Moi j'ai besoin de ton soleil de mort.

J'ai faim de tes horribles marécages,
des palmeraies que l'éléphant saccage,

de ce qui est en toi si monstrueux
que l'homme enfin se met à aimer Dieu.

Ta faim me hante, terre anthropophage.
Ton livre noir n'a pas de blanche page.

Tout y est rouge, noir. Tout y prend feu,
Tout y est trop. Rien ne s'appelle peu.

Comme Moïse attendant la promesse,
chez toi, j'ai vu la véritable messe.
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Roger Bodart
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