Poèmes

L'enfant


Les jours passent, sans se retourner.
Le ciel repasse, lavé, comme un escalator.
Que je suis petit !
Des rumeurs de routes, de verre cassé, de piano…
C’est une image ou c’est moi ?
Rien qu’un souvenir, moi dans une vitre. Sur un pont.
Dans une vitre, tout petit. Sur un chemin.
Dans la voiture qui creuse le bitume
Et qui s’use elle-même.
Tout se rapièce, sans fin, je suis déjà grand dans ma tête.
C’est une image ? J’ai l’impression d’être triste.
Ce n’est que la musique qui contient de la tristesse.
Une musique de foules, qui serpente, parmi les clients.
Néons maladifs
On tient des gamins par la main
Tous ces gens savent où aller. Moi je suis perdu.
Je ne suis qu’un enfant accroupi, près des reflets du sol.
Courir sur un pont, longer les rues, sous le soleil.
On répètera les mêmes gestes demain.
Cette musique me revient, un air triste.
Il lève la main. Est-ce un salut, ou appelle t-il à l’aide ?
C’est un gosse dans une vitre, un reflet.
Je l’ai perdu de vue.

Adossé à la colline
il contemple la ville de jour
ses bras se perdent dans l'onde verte
des fruits chutent tout autour
il se repose tranquillement
les veines de goudron de la cité
sont parcourues de couleurs mouvantes
là-bas le tonnerre
ici le silence
on ne saura pas où frappe la foudre
il joue à pile ou face avec lui-même
il gagne et perd à chaque fois
quand la pièce tombera sur la tranche
c'est sûr, il s'en ira
la pièce va rouler en bas de la colline
vers la ville et les gens
qui cèdent le passage
à d'autres gens
qui rentrent chez eux
quelqu'un ramassera la pièce
avec un sourire doux de braise
et repartira calmement
parmi la multitude
lui rangera la pièce
dans une poche à l'abri
se rangera lui-même
dans un espace vide
à l'abri des gens

Je ne suis plus connecté à rien
En phase de fin
Seul dans un parc vert
Le bruit des vagues
Je regarde une digitale pousser.
Moi-même je ne suis que du temps qui passe
Elle, elle est tout.
Elle grandit, devient colorée, violette
Ses tâches apparaissent timidement.
Allongé sous ses coroles
Je suis du vent arrêté
Dans les hautes herbes humides.
La digitale pousse en travers de moi
Je sens son poison
Des années de frissons
Commencent enfin.
Je suis son eau, je vis
Et je monte dans sa tige frêle.
Elle ne ploiera pas, je suis dans sa sève
Petit à petit, je deviens son poison
Qui se sème
A travers mon propre corps.
Je ne ressens plus rien
Que l’envie de pluie acide
Et la morsure du vent.
Ma saison va finir
Mes racines gèlent.
Des sarments ressortent du corps
Oublié autrefois. Eclosion de l’autre.
L’autre, c’est elle.
La digitale.

C’est que du vacarme, du fracas
Et si tu aimes ?
On est jamais concerné
Par l’éclosion des peurs
Sur des terres en friches
Ou par la battue
Qui tuera le voisin
Visage-puzzle mord et crie
Tend un arc de faim
Pour l’étrange
Et sublime les pardons
Une ile insolente ne va pas
Te narguer pour si peu
Pour une poignée de secondes
Pour un grain de raison
Pour la suite logique
De ce dérèglement

La montagne qui flotte

Il y a deux montagnes jumelles
embrassées par l'océan
l'eau vive les sépare

Des deux cotés de la mer
dans chaque village du rebord
des hommes rêvent de l'ile voisine

Ils disent que seuls les serpents d'eau
les esprits coureurs et les jonques des passeuses
peuvent joindre la terre espérée

Alors ils payent
de leur chair, de coquillages
ou restent, et voyagent dans leurs têtes

Les passeuses arrivent de l'horizon
sur leurs jonques noires illuminées
enveloppées dans des robes cousues de nacre

Elles posent le pied sur la plage
éclairées par des fanaux, perçoivent leur dû
et emmènent dans la nuit les plus heureux

Sur les flots agités de la mer entre les iles
ils traversent en secret
sous le couvert d'une nuit sans lune

Serrés dans les embarcations
les iliens s'en vont, pleins d'espérance
et songent être déjà arrivés

Ils se voient près d'une plage
sauter dans l'onde salée et courir
vers l'ile promise

Ils se voient à l'orée des eaux
ruisselants et riants
en quête d'une vie meilleure

Ils se voient pénétrer dans des villages
plus beaux que ceux qu'ils ont quitté
et ne voient pas le sourire des passeuses

Ils écoutent les rames qui frappent l'eau
les chansons des belles passeuses
et s'endorment peu à peu

Des deux cotés, sur les flancs de montagne
on raconte qu'ils ont atteint leurs rêves.
On ne les revoit jamais.

Dans un petit coin de rue, là où de l'eau coule
il y a une porte en bois
et derrière un jardin plein de choses
au charmes désuets
la personne qui est là
arrose longuement les choses du jardin
qui flottent entre la terre fanée
et les frissons du ciel :
les mots rouges

Si tu demandes qu'on soit en juin, et fatigués
alors on sera en juin, épuisés, flottants entre les baudruches jaunes
les rives sont sèches comme des sommets
on est à l'orée du songe
Morphée rampe et s'installe chez lui
entre nos bras engourdis
deux esprits cousus de la même étoffe
brillante mais froide
discutent à cent mètres par seconde
vers les confettis noirs, les crânes maquillés
et les bains de souvenirs
notre unique trace est en salive
comme des escargots
mais on ne se retournera pas

Assis au milieu du feu
on se raconte nos derniers rêves
nos cheveux brulent lentement
la fumées dessine nos mots
des visages, le temps renversé
les villes sans fond
des accidents
des blessures
on va chercher du sens
où il n'y en a pas.
Il y a plusieurs toi
et plusieurs moi
autour du feu
qui se chamaillent, se frappent
nous seuls parlons de choses et d'autres
dans la fournaise
ou l'euphorie.

Dans un matin escarpé
j'ai gravit les écrins du feu
atteint la paume des astres
et chuté de la nuit
comme une cascade
des yeux du ciel rouge
au nombril de la terre
d'où viennent les effluves
qui nourrissent l'oracle
racontant tout ceci.

Au volant d'une voiture volée
je roule sans fin
la route vibre sous moi
c'est une poursuite insensée
dans la nuit
des mégots lâchés par la vitre
marquent mon passage
ils luisent dans la nuit
les phares de la voiture devant
me guident comme l'étoile polaire
c'est une poursuite insensée
vers l'aube
des figures se collent au pare-brise
et s'effacent avec les essuie-glaces
c'est une poursuite sans fin

Ce qu'on prend, ce qu'on cueille
ce qui vient sur nos paumes
se fait verre, cristal
un fragment essoufflé, disparate
qu'on finit par lâcher
Une feuille morte dans la main
parait revivre un instant
pour mourir de plus belle.
Fatiguer, user, et puis ensevelir
c'est ça, toucher.

Dans la forêt violette

jusqu'aux lisières des songes

a recouvert le sol de ma chambre

j'ai chuté

Sortir, sur les dalles des rues
en passant à côté des gens
qui ont gelé en marchant
la vapeur devant ma bouche
dessine une réponse
au milieu de la rue
entouré de buissons enflammés

Est-ce que la nuit est belle ?
on ne voit plus les étoiles
toutes ces pacotilles
veulent être possédées
c'est un instinct en plastique
un chant d'automates
qui fait vibrer la nuit citadine
un bras de poupée
dérive dans le caniveau
entrainé vers le fond des villes
la douleur nous réveille
la douleur nous tient éveillés
derrière les fenêtres luisantes
il y a un goutte-à-goutte
sur le tapis rouge
et des boutons à pousser
comme un souffle irrégulier
des pages détachées
qui veulent ne jamais être retrouvées
des lettres minuscules

Nous voilà bien seuls
à la surface d'un monde
sur la peau de ma tête
dans le feu du ciel
dans une vallée solitaire
plus on éloigne notre regard
plus le paysage se répète
nous sommes à cheval sur les horizons.
Je devine ce que vous pensez
à trois dans ces steppes arides
le ciel est vide et uni
on dit que les nuages sont des amas d'âmes
ici personne n'existe
il n'y a ni fondations
pour les palais d'airain
ni combustible pour l'amour
jamais on ne saura si on rêve
si ça arrive, on va surement se perdre
dans une vallée solitaire
à cheval sur les horizons

Hier, j'ai planté un œil dans la terre
maintenant, un arbre à yeux
s'étend au dessus de nous
il cache le soleil
il a des yeux sur chaque branche
ce sera bientôt la fin
quand il comprendra

J'ai aussi volé le sel de la mer
pour le rendre au ciel qui grêle
et s'en va vers les cimes
pour dévoiler la voie lactée
mon unique œil peut la voir
et me faire sourire

Je vais faire beaucoup de choses
interdites ou non
pour me rapprocher
des lumières défendues

Les plumes hérissées par le vent
on survole les frontières
la fatigue a la voix des pluies sombres
et les yeux se lèvent
tracer un visage dans
les briques blanches du ciel
ne va pas faire revenir
le temps perdu
on dérive lentement
la vérité ne me plait pas
alors je vais mentir

Une ville est peinte sur le mur
noire comme la nuit
des rues peintes
des fenêtres peintes
la peinture a coulé
alors il pleut dans la ville
des trainées noires
défigurent une maison
un trou s'est creusé
à la place du soleil
un trou dans le mur
est la cause de la nuit
une éclipse passe
sur ton image
la ville semble inoffensive
allongée comme un animal
il y a un trou dans mon mur
des larmes sombres colorent les rues
la ville pleure
les passants se perdent
dans ses vapeurs
en cherchant quelque chose
une main lasse à serrer
jamais la pluie ne cesse

Elle marche dans un couloir rouge